Le 28 juin, nous quittons Khorog. Alors que nous pensions jusque là suivre la vallée du Wakhan (on nous vante ses paysages à couper le souffle, et c’est peu dire à vélo en altitude), nous craignons d’être un peu juste en temps. Une menace à laquelle je pense régulièrement depuis que nous avons commencé à emprunter la route des Pamirs. Délai de visa à respecter, lenteur et défis quotidiens sont déjà bien prenants. Nous choisissons de nous alléger au maximum de cette pression du temps et c’est donc la M41 (route plus courte et plus « facile ») que nous suivrons jusqu’à Murghab.
Les premiers cinquante kilomètres, nous traversons des villages qui se succèdent. Nous craignons alors à ce moment de regretter notre décision de suivre la M41, car nous avions en tête de nous laisser submerger par des paysages qui nous auraient transportés loin de ce que nous connaissons. Puis, notre voeu s’exhausse… Nous sommes presque seuls sur la route, une route mythique, que l’on partage avec quelques camions chinois seulement.
Les premiers jours, nous montons tranquillement, enivrés par tout ce qui nous entoure. La nature, ici, est maîtresse. Autour de nous, les paysages défilent, sous nos yeux émerveillés. Chaque jour, nous atterrissons ailleurs, et même plusieurs fois par jour. Tantôt sur la lune, tantôt sur une planète qu’on ne semble pas connaître, ou même tout simplement sur Terre, mais loin des villes et des gens, en plein désert de montagnes rocheuses. Nous avons la sensation d’être si petits, au milieu de ces paysages si grandioses.
En fin de journée, nous cherchons et trouvons un coin de paradis, où nous nous sentons bien. Et nous nous évadons. La tranquillité qui nous entoure nous permet de prendre du bon temps après une journée de vélo. Nous sommes maintenant deux, et nous aimons refaire le monde, ou bien discuter de ce que nous souhaiterions garder de notre voyage à notre retour. C’est aussi le temps de cuisiner, de faire une petite lessive ou encore de se laver lorsque nous avons accès à la rivière. J’aime aussi prendre des photos à cette heure-là. La lumière rend tout bien plus majestueux.
Les sommets enneigés, les différents tons de couleur des roches, cette eau bleu claire si vive, que nous suivons depuis Khorog. Malgré cette eau, peu de verdure. C’est une zone aride, où la roche domine ; la faune et la flore y sont discrètes. Il y a quelque chose de transcendant, abasourdis par le silence qui nous entoure. Un silence qui, je dois l’avouer, me mettra quelques fois, pas toujours, ni même souvent, mal à l’aise…
L’ascension se corse lorsque nous franchissons la barrière des 3000 mètres. Les effets de l’altitude. Nous sommes fatigués, épuisés, puis exténués en fin de journée. Une fatigue qui s’accumule ces dernières semaines, due aux efforts inhabituels que nous infligeons à notre corps. Je vous l’avais dit : avant d’y être, nous ne savions pas dans quoi on s’embarquait. Route de montagne, altitude, changement plus ou moins soudain de la météo, vent…
Lorsque nous arrivons au pied de notre premier col à plus de 4000 mètres, nous nous extasions d’abord devant les yourtes perdues au milieu de nulle part, habitées par la famille du berger qui garde un troupeau de yaks, de moutons et de chèvres pour l’été. Les yaks, ces animaux qui ressemblent à des bêtes mythologiques, avec leur tête aux allures de masque mexicain, leur corps de vache et leur queue de cheval.
« Ascension », un mot dont la signification évolue devant chaque nouveau défi. Déterminés, nous le sommes… mais rapidement, nous ressentons le manque de souffle. Malgré les trois snikers empiffrés depuis le début de la journée, nous devons mettre pied à terre à chaque trois coups de pédale. Puis le vent se lève. Jean-François demeure patient. « Arrête de râler, tu économiseras ton souffle » me lance-t-il à quelques reprises. Ma tolérance à la lenteur est toujours un peu plus mise à l’épreuve… J’admire sa patience.
C’est un travail d’équipe qui nous permet d’arriver en haut, Jean-François venant de temps à autres me relayer pour pousser mon vélo, moi râlant aussi silencieusement que possible. Maintenant à 4271 mètres, on se dit que, fiers et heureux de notre performance, on l’a fait.
Alors qu’on redescend, une envie nous prend : aller boire une bonne bière dans un bar d’ambiance, genre un saloon. Oui, un saloon et sa musique, réconfort de vie dans cette atmosphère très wild west lunaire. Mais rien ! A l’horizon, une route qui passe au milieu d’un paysage sec. Le vent (de dos heureusement) nous accompagne, mais il ne parle pas et je le soupçonne de jouer avec nous ; il fait froid… Plus loin, un deuxième col. Plus forts de notre expérience précédente, nous avançons tous deux avec beaucoup de bravoure et de sang froid. La détermination est un alliée de taille !
Après cette journée, pas besoin de préciser que nous sommes lessivés. Nous ressentons le besoin d’une pause… nous dépassons clairement nos limites ces derniers temps, et chaque jour plus que la veille. Pour nous, jeunes cyclistes, cette route devient la route de l’extrême. Le jour suivant, comme un calme après la tempête, nous ne ferons que 25 kilomètres pour atteindre Alichur. 25 kilomètres à la fois pénibles compte tenu de la fatigue, et à la fois inoubliables pour les paysages qui nous entourent. Des lacs, certains de sel, d’autres reflétant tels des miroirs les montagnes aux sommets enneigés.
Cette partie du voyage nous laissera assurément un souvenir indélébile. Nous en chions, vraiment. Mais la récompense, il faut le souligner, en vaut la peine. Nous essayons de photographier avec nos yeux chaque plan de vue tellement c’est incroyable en permanence. Il serait fastidieux de prendre toutes ces photos. Le temps s’arrête, perchés à 4000 mètres d’altitude, au milieu de paysages qui nous emmènent loin.
Le 2 juillet, nous nous arrêterons pour une journée et demie à Alichur, dans un home stay. Notre hôte, l’ancienne professeur d’anglais du village, nous en apprendra beaucoup sur la vie d’ici. Un ici bien loin de ce que nous connaissons…
Ce sera l’histoire de notre prochain billet.