Au départ de Samarcande, le 3 juin, nous sommes quatre : Binh et Alessio, les Rolling Potatoes, et nous, les Yeux d’Enfants. On sent la chaleur monter ces derniers jours. Nous partons donc tôt le matin, dans le but d’avancer un maximum aux heures les plus fraîches. Luis, un cyclo péruvien, sur les routes depuis 7 ans, rencontré à Boukhara puis à Samarcande, nous avait prévenus (tandis que nous clamions être trop fénéants pour nous lever à l’aube) : « tu arrives à te lever tôt dès que tu commences à vraiment souffrir de la chaleur ». C’est chose faite !
Binh et Alessio ont un bon rythme et ils seront nos lièvres pendant les prochains jours. Parfois, je trouve ça un peu dur. J’essaie un maximum de respecter mon propre rythme, puisque c’est un des buts essentiels de ce voyage, que de s’écouter et de prendre le temps. Mais ce n’est pas si évident… Non seulement, je suis un peu fière et je ne veux pas trop me faire distancer, mais aussi, nous sommes une équipe et je ne veux pas faire attendre les autres en permanence.
Nous avançons donc à bonne allure dans un paysage montagneux qui devient de plus en plus aride. Nous prenons l’habitude de faire nos courses au bazar, de remplir nos bouteilles d’eau dans des stations essence, dans les sources des villages, etc, pour ensuite les filtrer. Puis lorsqu’il fait trop chaud, nous arrêtons de rouler, pour reprendre notre course plus tard dans la journée. Car oui, les pauses de midi sont maintenant essentielles pour éviter une évaporation complète de l’eau de notre corps.
Nous nous faisons doucement à ce nouveau rythme. Souvent, nous nous arrêtons chez l’habitant. Ces rencontres sont toujours très riches. Que ce soit le jour où une quinzaine d’enfants son arrivés de nulle part et ont pris plaisir à participer à une séance photos, ou bien le jour où nous avons pris notre douche dans un ruisseau de montagne. Un paysage magnifique, une eau chauffée par un soleil frappant, une casserole et le tour était joué. Les hommes nous ont fabriqué, à Binh et à moi, un abris à l’aide de la bâche, afin que notre nudité demeure à l’abri des regards des passants.
Il y a aussi eu des pauses moins glorieuses, comme lorsque nous nous sommes arrêtés dans une maison abandonnée, le seul endroit qui pouvait nous offrir un peu d’ombre dans ce désert. Du verre et de la pierre partout. Nous avons tendu la bâche pour être à l’ombre et dormi sur les plastiques qui servent de poncho à Binh et Alessio. Puis au réveil, nous étions contents d’être ce petit groupe et de profiter de ce temps mort pour apprendre toujours plus à nous connaître. Ce jour là, nous revenons ensemble sur ce qui nous a amené à être ici aujourd’hui, chacun ayant une expérience très diffèrente.
Chaque soir, nous continuons de trouver des endroits très agréables pour camper, contents de la fraîcheur qui revient, seulement lorsque le soleil disparaît derrière les montagnes. Plus nous montons dans les montagnes (montées douces), plus le ciel révèle ses étoiles et c’est un spectacle dont on ne se lasse pas. Cette semaine là, nous avons même droit à un lever de lune ! Nous mesurons la chance que nous avons d’être ici, loin du stress de la vie quotidienne. Et cerise sur le gâteau, nous mangeons comme des rois. Il suffit de demander, Alessio saura même nous faire une mayonnaise au milieu de nulle part !
Nous recevons aussi régulièrement la visite des voisins, soit curieux de venir visiter notre campement, ou bien heureux de nous apporter un bol de lait fraîchement trait, du kefir, ou encore ces fameuses boules de fromage. Et bien, à force d’en manger, nous commençons à apprécier ça ! C’est vrai aussi qu’en rapant juste un peu du bout des dents, c’est moins écoeurant qu’un croc franc. Cette générosité et cet accueil, cette hospitalité, ne cessent de me toucher et de me faire voir comme l’homme peut être encore bon (pour ceux qui en doutent ;) ). Et puis autant eux que nous en retirons un plaisir grand et réel. Oui, je crois que c’est un plaisir partagé, entre un donneur et un receveur.
Nous découvrons aussi un mode de vie. Un mode de vie très agricole, et auto-suffisant souvent. Peu de monde sur la route, en dehors de quelques villages. La campagne est magnifique, avec ces champs de blé qui ont l’air doré au soleil. Au milieu d’eux, un groupe de moutons et son berger. Des bergers, nous en croisons de tout âge (l’école est finie depuis la fin du mois de mai). Ils portent souvent un gros manteau épais violet. Ils s’assurent que les moutons ou les chèvres ne s’éloignent pas trop. Les ânes travaillent aussi très fort ! C’est incroyable le poids qu’ils sont capables de porter ! Je ne me lasse pas de croiser ces bêtes là, et d’entendre leur braiement, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.
On observe d’autres coutumes, qui sont plus générales au pays. Comme ces petites filles aux cheveux courts, ces personnes aux larges sourires laissant decouvrir des dents en or, le mono-sourcil qui semble être un atout de séduction chez les femmes (maquillage utilisé au besoin), ces monsieurs qui portent le chapeau traditionnel ouzbèque (le tioupé) ornés de motifs blancs symbolisant leur région d’origine.
Puis nous arrivons proche de Boysun, le 7 juin, où vient le moment de se séparer. Nous avons étiré au maximum le plaisir de rouler ensemble. Mais il le faut… Bye bye les Rolling Potatoes, on ne vous oubliera pas !
À partir d’ici, nous empruntons une petite route de campagne. C’est agréable. Enfin… j’avoue que je suis vraiment fatiguée ! Nous roulons beaucoup ces derniers temps, sous des conditions thermiques plutôt intenses (53,6 degrés indiqués au compteur le jour où nous avons trouvé refuge dans la maison abandonnée). Nous ferons une pause à Boysun, après une dernière ligne droite, qui visuellement semble descendre, mais en fait monte. C’est d’ailleurs quelque chose que j’avais remarqué dans les montagnes entre la vallée de Ferghana et Tachkent. Un foutu effet optique qui te fait croire que tu vas descendre, mais non ! Gère ça quand t’en peux plus, c’est assez sympa !
Mise à part ce dur moment lié à la fatigue, Boysun se situe dans une belle région. Montagneuse et canyoneuse. En partant tôt le matin, nous profitons d’une lumière révélant des formes ondulées sur le flanc des montagnes. L’érosion.
Nous nous approchons de la frontière tajike. Nos dernières rencontres ouzbèques seront toutes plus chaleureuses les unes que les autres. On nous propose des salons pour y faire la sieste, on nous offre des fruits, l’hospitalité. Que de belles rencontres. Nous demeurons un peu méfiants au début, le souvenir d’une mauvaise rencontre encore trop frais. Malheureusement… mais à chaque fois, nous serons vite rassurés. Nous nous levons pour honorer l’hospitalité de ce peuple, vraiment. Cet aspect et le patrimoine de ces villes en font un pays qui vaut la peine d’être connu. Un peu moins pour ces paysages, si ce n’est dans la région de Boysun (avis personnel).
Nous approchons, puis atteignons la frontière tajike, le 10 juin. Sur les derniers kilomètres, nous sommes des stars ! On se fait arrêter par plusieurs locaux qui veulent une photo avec nous. Déjà dans la vallée de Ferghana, c’était fréquent. Rapidement, je remarque que les vieux monsieurs portent fréquemment la barbe blanche… Une influence tajike ? Nous verrons bien, nous y arrivons…